L'Artemis Challenge raconté par Arnaud Collot
Dimanche : Convoyage
Equipage Akena : Arnaud, Lulu, Guillaume et David + Margaux, Antoine et Nono.
"N’oublions pas que nous pourrions devoir changer à Châtelet !" … lance Lulu pour signifier que d’autres sont dans les transports en commun, histoire de nous faire mesurer notre chance…
Margaux, Antoine et moi arrivons à bord du nouvel Akena Vérandas, l’ancien PRB de Vincent Riou qui reste co-skipper avec Arnaud Boissières jusqu’à la fin de l’année : sur le quai, je retrouve avec plaisir des têtes connues et en découvre de nouvelles. On se présente, équipage, famille, amis ; je suis content d’échanger avec tous ces maillons de la cordée A Chacun son Everest ! pendant qu’Antoine et Margaux découvrent le bateau. Cécile est venue nous faire un bisou de Rennes avant le convoyage qu’elle "ne sentait pas"… Nous ne pensons désormais qu’à une chose, "larguer les amarres !". Le cri salvateur est donné par Arnaud, le bateau s’écarte du quai : "feu !".
Nous passons fièrement les quais des Sables d’Olonne sur lesquels les gens nous saluent, puis hissons l’énorme voilure. Pour l’instant, Akena est calme, le vent ne nous porte pas trop ; juste ce qu’il faut pour prendre nos marques. Arnaud, Lulu, Guillaume et David nous mettent à l’aise, nous expliquent, nous montrent et Antoine se retrouve à la barre. Dans le jour diminuant, nous avançons tant bien que mal, jusqu’à ce que le vent s’épuise totalement : moteur ! Il faut bien avancer, c’est un convoyage.
Eole ne nous aura abandonnés qu’un petit morceau de nuit, le temps de manger et de se reposer un peu sous le vrombissement de la machine, et les affaires reprennent ! On hisse, le bruit de l’eau et du vent apaisent les tympans. La mer se creuse un peu tandis que Margaux est à la barre. En ce qui la concerne, c’est le début de l’enfer : elle va devoir s’amariner comme on dit, c’est à dire habituer son corps aux mouvements permanents du bateau… Bref, malaaaade !
Durant la nuit, le vent augmente encore. Il faut réduire la toile. Akena vit, j’ai l’impression qu’il décolle. Le moindre souffle supplémentaire le fait accélérer, cela semble sans fin. Il glisse de plus en plus vite en laissant derrière lui à peine deux petites trainées, la marque des safrans. C’est magique !
Lundi
Nous passons Penmarc’h, le raz de Sein, Ouessant au petit jour : ces coins de la pointe bretonne réputés pour leur inhospitalité. Le vent se maintient assez fort et Akena fonce, rentre dans la mer, ça tape, ça penche, ça file.
Antoine et moi prenons part aux quarts : il faut veiller car l’endroit est en plus truffé de cargos. Guillaume initie Antoine à la veille radar et aux instruments de bord : voilà un membre d’équipage en plus !
Des dauphins viennent jouer avec les vagues, curieux de ce gros bateau qui va si vite, sans un bruit… Joli cadeau.
Margaux a réussi à descendre se coucher. Elle m’a impressionné par son courage. Je sais ce que c’est que de vouloir que tout s’arrête, ne serait-ce qu’une seconde, pour souffler, avoir un instant de paix… mais la machine ne s’arrête pas. Je ne peux que souffrir avec elle, lui tenir la main, être là, et je pense à nos parents, nos proches qui ont aussi un genre d’Everest derrière eux… disons un Kilimandjaro ; ça reste quand même nous les héros !
Ça y est, nous avons passé la pointe bretonne et pouvons arrondir vers le raz Blanchard puis l’Angleterre. Le vent qui a un peu faibli nous pousse, la mer s’est calmée aussi et vient de l’arrière. Akena est plus doux, et au petit jour, Margaux ressuscite pour entendre une fois de plus "Pas froid ? Pas faim ? Il faut que tu boives…".
Nous attaquons notre dernière nuit. Sur les conseils d’Arnaud, je teste une nuit dans les voiles, je m'enveloppe dans le spi, j’entends l’eau courir sur la coque… Bien sûr, personne ne viendra me déranger. David vérifiera juste que tout va bien durant mon sommeil. Voilà une nuit sublime à n’échanger pour rien au monde ! Antoine aura tenu ses quarts de surveillance cette nuit encore, tandis que Margaux récupère.
Mardi
Au saut du lit (et quel lit !) les côtes anglaises sont là, il ne nous reste plus qu’à rejoindre le port. Étienne, autre équipier, nous attend sur le quai et bientôt nous réaliserons un nouveau rêve : une douche !
Comme prévu, notre équipage se complète dans l’après-midi par Cécile et Florian qui arrivent à la réception de l’hôtel en même temps que nous ; talent de l’organisation oblige ! Il nous reste juste le temps de nous promener dans Portsmouth, de faire connaissance avec toute l’équipe pour nos nouveaux arrivants, et dodo, car demain est un grand jour : nous allons en découdre avec onze autres bateaux.
Mercredi : La course
Équipage : Arnaud, Etienne, Lulu, Guillaume et David + Cécile, Margaux, Antoine, Florian et Nono.
Au tout petit jour, nous émergeons. Il faut convoyer le bateau jusqu’au départ et Antoine, propulsé traducteur officiel de Monsieur Boissières, doit participer au briefing de la course.
Immédiatement, Florian et Cécile se retrouvent à la barre, le temps du convoyage. Les instructions de courses sont données, nous récupérons notre skipper et son nouvel assistant. Il nous reste une demi-heure avant le départ… la tension monte.
Il y a des bateaux partout : les autres concurrents bien sûr, mais aussi des zodiacs dans tout les sens, des plaisanciers venus voir les voiliers de plus près, de grosses vedettes et, au-dessus de nos têtes, un hélicoptère… Dire que nous pensions être seuls durant deux jours !
Le départ est donné : nous en sommes presque à nous toucher. Le vent est faible et la tactique est de mise, un savant jeu de "passera-passera pas" se met en place. Nous essayons de tenir notre position mais le vent fait des siennes et rend la tâche difficile.
Nous mettons nos kilos à contribution pour équilibrer le bateau du mieux que nous pouvons, mais cela ne changera malheureusement rien, c’est le vent qui décide… Et il est décidé à nous planter là, laissant une moitié de concurrents partir… c’est rageant !
Commence alors une lutte acharnée contre le sort. Nous ne sommes pas fatalistes comme d’autres qui préfèrent abandonner, certainement pas notre bateau ! N’est-il pas écrit "A Chacun son Everest !" sur la bôme ?
Le ballet des voiles commence, on ne sait même plus d’où vient le vent. On hisse, on affale, on tente un coup, on hisse à nouveau, on roule, on déroule les voiles, il faut qu’on sorte de ce pot de colle, d’autant que là, juste devant, il y a du vent !
David, à la colonne de winch, a les épaules en surchauffe. Étienne a dû faire trois kilomètres sur le pont, Guillaume cherche toutes les routes possibles pour atteindre cette première bouée, Lulu s’acharne à régler des voiles tombantes et Arnaud calcule sans un mot toutes les options envisageables… et les vents sont toujours aussi facétieux.
L’équipe A Chacun son Everest ! donne son maximum pour être à la bonne place au bon moment, ce qui est particulièrement dur avec toutes ces manœuvres. Quand nous sommes enfin posés, nous faisons de notre mieux, à s’en mouiller les chaussettes à la première vaguelette…
Enfin, nous décollons. Les autres concurrents ont déjà bouclé la moitié du parcours, il faut se battre encore. Akena s’élance et, en vingt minutes, nous parcourons quatre fois la distance parcourue en trois heures. La bonne nouvelle, c’est que nous avons dépassé un concurrent et que nous revenons sérieusement sur le peloton qui est planté exactement là où nous venons de passer trois heures… Il y a une justice, qui a toutefois ses limites, puisque nous nous plantons avec eux.
Le petit match du départ se rejoue, au coude-à-coude, au jeu de "pousse-toi c’est moi qui passe !". Nous sommes sur le point de dépasser Dee Cafari sur AVIVA lorsque la radio annonce la victoire de Sébastien Josse sur BT et la fin de course… Grrrrr !
La pression retombe et nous sommes contents de cette lutte acharnée, d’autant que James, un journaliste du coin, nous confirmera qu’il n’y avait rien à faire de plus.
Nous ramenons le bateau tandis qu’Arnaud va régler les derniers détails au PC Course. Nous le rangeons, le nettoyons, et lui disons au revoir et merci pour la balade. Un peu triste de le laisser, nous sommes cependant bien décidés à profiter des derniers moments ensemble, car c’est sûr, nous sommes désormais dix membres d’une même équipe !
Une énorme fête se joue à Cowes, mais nous sommes bien mieux ensemble. Arnaud nous rejoint avec Vincent Riou qui vient courir la course en double du Fastnet.
Retour
A une heure du matin, nous quittons notre équipe de marins, il faut penser au retour. Dans le train de banlieue qui m’emmène à la gare, la fatigue de toute cette aventure m’entraîne dans une douce rêverie : je "refais le match", un peu nostalgique que cette jolie parenthèse se referme… lorsque la grosse voix de Lulu me revient : "Oh, il ne faut pas que j’oublie de changer à Châtelet !".